11 novembre, 2013

Alyah - Episode 12 : "Qui est parti ?"


Ce matin, j’ai vécu un grand moment de solitude. Ca faisait longtemps que ça ne m’était arrivé. Je me suis sentie seule  et incomprise.
 
Incomprise, j’ai pris l’habitude. Mais aujourd’hui, en plus de me heurter au mur de langue hébraïque qui se dresse quotidiennement devant moi, je suis tombée dans un  fossé culturel. A ma droite, la mentalité française et ses tabous, à ma gauche le ivrit way of life où les « ze lo rachouv » (Ce n’est pas grave) se disputent à « ma laassot » ( Que faire ?)
Notre prof d’oulpan, Orith, absente pour deux jours, est remplacée par Shelly, plus jeune, le débit plus rapide et l’envie de bien faire. Je la sens plus carrée. Ce n’est pas si mal finalement.

Après la première pause, les rangs des élèves s’éclaircissent. Il faut dire qu’on a dû chanter pendant 45 minutes pour préparer la fête de Hannoucah. La prof de chant, une russe d’une soixantaine d’années ressemble à une ganenette plus Laa-Laa dans les Télétubbies que Mary Poppins.
J’avoue, j’ai envisagé sérieusement de prendre mon sac et de m’éclipser avant de me raviser.En remontant, Shelly se rend compte que nous sommes moitié moins. La directrice passe et nous demande de dire à celles et ceux qui ont choisi de partir qu’elle n’est pas contente. Elle glisse à l’oreille de Shelly des phrases que je n’entends pas.

Après le départ de la directrice, Shelly prend une feuille et nous demande le nom de ceux qui ne sont pas là. « Qui est parti ? ». Je commence à entendre les élèves nommer les absents. Les russes citent leurs compatriotes, d’autres citent les noms de leurs voisins de table. Sans exagérer, j’hallucine. J’ai envie de crier « C’est quoi ça ? »
Je suis choquée. Je le dis, avec un hébreu sommaire évidemment. Elle m’explique qu’elle ne connait pas le nom des élèves et que c’est normal. J’insiste et je lui dis que ce n’est pas à nous à dire le nom de ceux qui sont partis. Que ça ne se fait pas. Elle n’a qu’à refaire l’appel pour comparer avec ceux présents à 8H.

Je sais que ce n’est pas si grave. Aucun des élèves ne sera fusillé dans la cour de l’oulpan (C’est dommage, ça ferait un billet sympa J ) mais la simplicité de la demande de la prof et ma réaction me laissent perplexe. Je mesure la distance qui me sépare du flegme israélien, la rigidité ancrée de mes tabous français.
La dernière heure de cours, Shelly nous a demandé une spécialité de notre pays. J’aurai pu répondre : « la délation ».

Entre 1940 et 1945, en France, on estime à trois millions de lettres de dénonciation envoyées aux à l’armée allemande, du Commissariat aux questions juives, et à la police. Non-circonscrite à la deuxième guerre mondiale, la délation vit encore de beaux jours.  Même si on ne dispose d’aucun chiffre, chaque semaine, les services des impôts et les commissariats disent recevoir des lettres anonymes. On dénonce la fraude fiscale d’un tel, le trafic de drogue du voisin, l’ami en situation irrégulière d’une telle.  Minoritaire, ce phénomène continue de m’interroger. La plupart de ces lettres finissent à la poubelle mais elles sont là, l'immense majorité non-signé.
Devant ma gêne, mon voisin de gauche, un juif argentin, me dit « Mais où es-ton problème ? ». J’aurais voulu lui répondre plein de choses mais je n’ai pas réussi à balbutier autre chose que « Ze lo tov » ( Ce n'est pas bien). Une heure plus tôt, je lui parlais du reportage que j’avais à la télé sur San Carlos de Bariloche. Cette ville du sud de l'Argentine , fondée par une colonie suisse au début du XIXe siècle avant la seconde guerre mondiale a servi de refuge à de nombreux nazis à la fin de la guerre. Quand je lui ai dit « Il y a encore beaucoup de signes d’appartenance aux nazis, là bas, c’est dingue », il s’est offusqué. Je l’ai senti choqué. Intérieurement, il devait se dire « J’hallucine. C’est quoi ça ? ».

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