Journaliste, j’ai à plusieurs reprises couvert ce type de
manifestations. Pour honorer la mémoire d’un disparu, on fait écrire un Sefer Thora qui portera son nom. La plupart
du temps, les gens le font pour les parents, leurs frères, leurs sœurs.
Ce
dimanche, les deux sifrei thora
portent les noms de Myriam Monsonego, Arieh, Gabriel et Jonathan Sandler. Le Grand
Rabbin d’Israël Shlomo Amar est présent. On danse, on chante autour des deux
rouleaux de la Thora. Le public tape dans ses mains. C’est un moment de ferveur
étrange où la peine se dispute à la joie.
Je frappe dans les mains mais je ne suis pas à la fête. J’ai les larmes
aux bords des yeux et je détourne le regard pour ne pas croiser celui de Samuel
Sandler, père et grand-père de 3 victimes. « C’est
la vie qui reprend le dessus » me souffle ma voisine qui perçoit mon
malaise.
« C’est la vie qui reprend le
dessus », phrase idiote et
terriblement juste. Je déteste cette phrase mais cette dame a raison. « C’est la vie qui reprend le dessus »,
c’est une évidence et une aberration.
Je
lui répondrai bien que « non », je lui détaillerai bien l’effroi dans
lequel m’a plongé Toulouse, je lui raconterai bien combien j’insiste pour que mon
mari accompagne ma fille à son gan le matin parce que la vision de compagnie
statique de CRS m’est insupportable. Mais
je ne peux pas, la musique est trop forte, l’entrain a gagné la scène. La vie a
repris le dessus, reléguant mon chagrin et celui de tous à plus tard.
A
mon sens, la religion juive propose une « gestion » éminnement pertinente du deuil.
La première semaine l’endeuillé est entouré, on le sert, on l’assiste, on lui
rend visite chaque jour. A l’issue du 7e jour de deuil, il reprend
son activité professionnelle, sa vie familiale. La première année qui suit la
disparition, il s’abstient de musique et autres festivités. C’est un peu comme des
cercles concentriques. Plus le temps passe, les cercles grandissent et s’ouvrent
sur le reste … la vie.
« C’est
la vie qui reprend le dessus », j’ai du mal avec cette notion. Elle sonne
comme « Show must go on », « T’arrêtes pas, avance ».
Je
revois la maman de Thierry Saada, disparu dans les attentats contre le World
Trade Center me consoler, la main sur l’épaule, lors de l’inauguration du sefer
Thora du nom de son fils à l’école Rambam Maïmonide.
Thierry
Saada était un gentil garçon. Discret. Ni leader, ni grande-gueule, ni beau
gosse. Intelligent, drôle. Il charriait avec parcimonie sans jamais blesser
personne. Il était à contre-courant de ce qui emmenait tout le monde dans une
sorte de mouvement irrépressible : la mode. Sa discrétion pouvait, à tort,
le classer parmi les garçons transparents. Il était en terminale D. j’étais en
1er S. On se croisait à l’intercours, après la cantine sur la place
Rhin-Danube pendant les quelques minutes avant la reprise des cours.
Je
l’ai croisé deux ans plus tard, en Israël, il avait gagné en aisance. C’est la
dernière fois que je l’ai. La prochaine fois que je verrai son visage c’est
dans le « Parisien », quelques jours après l’attentat
Alors voilà, « la
vie reprend le dessus », sauf le 11 septembre. C’est idiot, sans doute
sans intérêt, ni effet sur le cours des événements, mais je pense à Thierry
Saada chaque 11 septembre. Et comme l’actualité ne nous aide pas, chaque année,
la liste s’allonge un peu plus.
llan Halimi,
Myriam Monsonego, Arieh,
Gabriel,
Jonathan Sandler.
Chaque 11 septembre, plus que les autres jours, je pense à eux et je me dis que la vie reprendra vraiment le dessus quand je pourrais mettre un point final à cette liste.
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