02 juin, 2013

C'est la vie qui reprend le dessus

Dimanche 2 juin, à l’issue du 2eme congrès des communautés juives de France, deux sifrei torah ont été inaugurés en mémoire des victimes de l’attaque perpétrée contre l’école juive de Toulouse.



Journaliste, j’ai à plusieurs reprises couvert ce type de manifestations. Pour honorer la mémoire d’un disparu, on fait écrire un Sefer Thora qui portera son nom. La plupart du temps, les gens le font pour les parents, leurs frères, leurs sœurs.

Ce dimanche, les deux sifrei thora portent les noms de Myriam Monsonego, Arieh, Gabriel et Jonathan Sandler. Le Grand Rabbin d’Israël Shlomo Amar est présent. On danse, on chante autour des deux rouleaux de la Thora. Le public tape dans ses mains. C’est un moment de ferveur étrange où la peine se dispute à la joie.  Je frappe dans les mains mais je ne suis pas à la fête. J’ai les larmes aux bords des yeux et je détourne le regard pour ne pas croiser celui de Samuel Sandler, père et grand-père de 3 victimes. « C’est la vie qui reprend le dessus » me souffle ma voisine qui perçoit mon malaise.

« C’est la vie qui reprend le dessus », phrase idiote et terriblement juste. Je déteste cette phrase mais cette dame a raison. « C’est la vie qui reprend le dessus », c’est une évidence et  une aberration.

Je lui répondrai bien que « non », je lui détaillerai bien l’effroi dans lequel m’a plongé Toulouse, je lui raconterai bien combien j’insiste pour que mon mari accompagne ma fille à son gan le matin parce que la vision de compagnie statique de CRS m’est  insupportable. Mais je ne peux pas, la musique est trop forte, l’entrain a gagné la scène. La vie a repris le dessus, reléguant mon chagrin et celui de tous à plus tard.

A mon sens, la religion juive propose une « gestion » éminnement pertinente du deuil. La première semaine l’endeuillé est entouré, on le sert, on l’assiste, on lui rend visite chaque jour. A l’issue du 7e jour de deuil, il reprend son activité professionnelle, sa vie familiale. La première année qui suit la disparition, il s’abstient de musique et autres festivités. C’est un peu comme des cercles concentriques. Plus le temps passe, les cercles grandissent et s’ouvrent sur le reste … la vie.

« C’est la vie qui reprend le dessus », j’ai du mal avec cette notion. Elle sonne comme « Show must go on », « T’arrêtes pas, avance ».

Je revois la maman de Thierry Saada, disparu dans les attentats contre le World Trade Center me consoler, la main sur l’épaule, lors de l’inauguration du sefer Thora du nom de son fils à l’école Rambam Maïmonide.

Thierry Saada était un gentil garçon. Discret. Ni leader, ni grande-gueule, ni beau gosse. Intelligent, drôle. Il charriait avec parcimonie sans jamais blesser personne. Il était à contre-courant de ce qui emmenait tout le monde dans une sorte de mouvement irrépressible : la mode. Sa discrétion pouvait, à tort, le classer parmi les garçons transparents. Il était en terminale D. j’étais en 1er S. On se croisait à l’intercours, après la cantine sur la place Rhin-Danube pendant les quelques minutes avant la reprise des cours.

Je l’ai croisé deux ans plus tard, en Israël, il avait gagné en aisance. C’est la dernière fois que je l’ai. La prochaine fois que je verrai son visage c’est dans le « Parisien », quelques jours après l’attentat

Alors voilà, « la vie reprend le dessus », sauf le 11 septembre. C’est idiot, sans doute sans intérêt, ni effet sur le cours des événements, mais je pense à Thierry Saada chaque 11 septembre. Et comme l’actualité ne nous aide pas, chaque année, la liste s’allonge un peu plus.
llan Halimi,
Myriam Monsonego,
Arieh,
Gabriel,
Jonathan Sandler.

Chaque 11 septembre, plus que les autres jours, je pense à eux et je me dis que la vie reprendra vraiment le dessus quand je pourrais mettre un point final à cette liste.

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