Je me souviens très bien de lui. C’était
en 1ere. On devait être en 1991 ou 1992. Je venais
d’intégrer ce grand lycée de l’Ouest parisien. Il arrivait souvent en
retard, s’installait fond de la classe. Et là, pendant que la cloche sonnait
annonçant le début du cours, la plupart des filles se levaient pour aller lui
faire la bise. Elles virevoltaient autour de lui, qui tel un souverain trônait affalé
sur sa chaise ou se balançant nonchalamment. Chacune de ses phrases provoquait des gloussements et des "Oh" d'admiration.
Les rares fois où il a daigné me saluer,
je pouvais mettre ma main à couper qu’il allait me demander quelque chose dans
la journée. Je vous arrête, mon physique plutôt ingrat à l’époque et mon manque
de confiance en moi, nos rares échanges en une année se sont limités à des : « T’as pas une double
feuille ? » ou « Y a un contrôle d’éco aujourd’hui, t’es sûre ».
Et évidemment, cessons-là tout
suspens, M. (puisque nous l’appellerons ainsi) était beau, oui beau à tomber par
terre. M. était l’archétype du beau gosse. Pas doué pour les équations mais jouissant d'un franc succès auprès des filles. Le genre de garçon que des filles d’autres
classes attendent à la sortie de la classe, le type qu’on attend pour la pause-déjeuner, le garçon qui s’il vous parle dans la cour devant témoin fait grimper
votre côte. Quant à la fille qui avait la chance de sortir avec lui, elle bénéficiait immanquablement des honneurs dus à son rang, fussent-ce quelques
semaines. Ensuite, elle pouvait surfer sur cette aventure, aussi courte
soit-elle, toute une année scolaire.
Si je vous parle de M. c’est que
je l’ai croisé la semaine dernière. Deux fois. La première fois, il pleuvait. Il avançait la tête légèrement
inclinée en poussant une poussette-double. De chaque côté, un enfant. Certes la démarche est un peu
lourde. Sa barbe de trois jours et sa parka kaki ne l’avantagent pas mais aucun
doute c’était bien lui. Bon, là encore pas de suspens. Lui ne m’a pas reconnue. la deuxième fois c'était dans une épicerie casher de Levallois-Perret. Il arpentait les rayons tirant un panier et checkant au téléphone la marque de charcuterie à prendre.
Les beaux gosses du lycée
vieillissent mal, en général. Telles les vedettes des séries télé de notre
enfant, qui ont disparu de la circulation. Promises à un brillant avenir, elles ont enchaîné les téléfilms un peu comme Mike Seaver de la
série « Quoi de neuf docteur ? » sans jamais percer au cinéma.
Obscur objet du désir de nos
années d’adolescentes, le beau gosse du lycée est aujourd’hui marié, papa, employé. Un constat à la fois décevant et
encourageant. Décevant parce qu'en plus de mesurer la distante parcourue depuis notre
adolescence - oui nous aussi on a vieilli - on se rend compte qu'on a fantasmé sur un type finalement quelconque.
C'est aussi un constat encourageant. Un jour, ma fille se pâmera devant le beau gosse de son lycée. Je lui dirai, comme j'aurais aimé qu'on me dise à l'époque : « Lui, pfff.... dans
20 ans, il aura pris 10 kilos, il sera marié à une nana qui le mènera à la
baguette. Pour oublier qu’elle a gardé 5 kg à chaque grossesse, elle le
martyrisera psychologiquement. Papa d’une famille nombreuse et pratiquante, il
troquera ses vêtements de marques contre des casquettes de papi. ». Si on m'avait soufflé ces quelques mots à l'oreille, je l’aurais moins
idéalisé, j’aurais sans doute osé l’aborder ou peut-être juste lui répondre
quand pour faire rire sa cour, ses vannes tombaient sur moi comme l’opprobre.
Oui, il aurait juste fallu que quelqu’un me dise, « Lui ? Laisse le temps au temps. La vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain et
n’oublie pas c’est à la fin du bal qu’on paye les musiciens ».
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