Ce matin, j’ai vécu un grand
moment de solitude. Ca faisait longtemps que ça ne m’était arrivé. Je me suis
sentie seule et incomprise.
Notre prof d’oulpan, Orith, absente pour deux jours, est remplacée par Shelly, plus jeune, le débit plus rapide et l’envie de bien faire. Je la sens plus carrée. Ce n’est pas si mal finalement.
Après la première pause, les
rangs des élèves s’éclaircissent. Il faut dire qu’on a dû chanter pendant 45
minutes pour préparer la fête de Hannoucah. La prof de chant, une russe d’une
soixantaine d’années ressemble à une ganenette plus Laa-Laa dans les Télétubbies
que Mary Poppins.
J’avoue, j’ai envisagé sérieusement
de prendre mon sac et de m’éclipser avant de me raviser.En remontant, Shelly se
rend compte que nous sommes moitié moins. La directrice passe et nous demande
de dire à celles et ceux qui ont choisi de partir qu’elle n’est pas contente. Elle
glisse à l’oreille de Shelly des phrases que je n’entends pas.
Après le départ de la directrice,
Shelly prend une feuille et nous demande le nom de ceux qui ne sont pas là. « Qui est parti ? ». Je
commence à entendre les élèves nommer les absents. Les russes citent leurs
compatriotes, d’autres citent les noms de leurs voisins de table. Sans exagérer,
j’hallucine. J’ai envie de crier « C’est quoi ça ? »
Je suis choquée. Je le dis, avec
un hébreu sommaire évidemment. Elle m’explique qu’elle ne connait pas le nom
des élèves et que c’est normal. J’insiste et je lui dis que ce n’est pas à nous
à dire le nom de ceux qui sont partis. Que ça ne se fait pas. Elle n’a qu’à
refaire l’appel pour comparer avec ceux présents à 8H.
Je sais que ce n’est pas si
grave. Aucun des élèves ne sera fusillé dans la cour de l’oulpan (C’est dommage,
ça ferait un billet sympa J
) mais la simplicité de la demande de la prof et ma réaction me laissent
perplexe. Je mesure la distance qui me sépare du flegme israélien, la rigidité
ancrée de mes tabous français.
La dernière heure de cours,
Shelly nous a demandé une spécialité de notre pays. J’aurai pu répondre : « la
délation ».
Entre 1940
et 1945, en France, on estime à trois millions de lettres de dénonciation envoyées
aux à l’armée allemande, du Commissariat aux questions juives, et à la police. Non-circonscrite
à la deuxième guerre mondiale, la délation vit encore de beaux jours. Même si on ne dispose d’aucun chiffre, chaque
semaine, les services des impôts et les commissariats disent recevoir des lettres
anonymes. On dénonce la fraude fiscale d’un tel, le trafic de drogue du voisin,
l’ami en situation irrégulière d’une telle. Minoritaire, ce phénomène continue de m’interroger.
La plupart de ces lettres finissent à la poubelle mais elles sont là, l'immense majorité non-signé.
Devant ma
gêne, mon voisin de gauche, un juif argentin, me dit « Mais où
es-ton problème ? ». J’aurais voulu lui répondre plein de choses mais
je n’ai pas réussi à balbutier autre chose que « Ze lo tov » ( Ce n'est pas bien). Une
heure plus tôt, je lui parlais du reportage que j’avais à la télé sur San Carlos de Bariloche. Cette ville du sud de l'Argentine , fondée par une colonie suisse
au début du XIXe siècle avant la seconde guerre mondiale a servi de
refuge à de nombreux nazis à la fin de la guerre. Quand je lui ai dit « Il y a encore beaucoup de signes d’appartenance
aux nazis, là bas, c’est dingue », il s’est offusqué. Je l’ai senti
choqué. Intérieurement, il devait se dire « J’hallucine.
C’est quoi ça ? ».
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