12 mai, 2013

"Tu comprends rien, c'est pour rire"



Dans « On / Off », le philosophe Ollivier Pourriol raconte mois par mois sa saison comme  chroniqueur au « Grand Journal ». Le producteur jamais là, qui promet tout et qui refile le bébé à un rédacteur chef qui ne veut même pas en entendre parler, les chroniqueurs confirmés qui cachetonnent et ne rongent même plus leurs frein pour prendre la place du présentateur indéboulonnable, les nouveaux qui tâtonnent, et la régie qui hurle des ordres et des contre-ordres.
 

Je suis tombée dans la télé par hasard. Après 4 mois passés comme assistante de rédaction sur l’émission « Sagas », présentée à l’époque par Flavie Flament, Renaud Rahard m’embarque avec lui chez Dechavanne sur « Combien ça coûte ». Je suis aux anges. Pour rebooster l’émission en perte de vitesse, TF1 a choisi de coller dans les pattes de Pernaut la plus belle prise du mercato de cet été là : Evelyne Thomas.

La cohabitation difficile entre Evelyne Thomas, son staff et Jean-Pierre Pernaut, la pression de bosser sur une émission en sursis, les charettes de janvier, l’attente des audiences, les réunions avec le diffuseur : j’ai passé une année en enfer avec comme Ollivier Pourriol, mais dans une moindre mesure ma fiche de paye comme seule éclaircie, faible mais tenace halo de lumière dans le tunnel.
Je me souviens que le soir de la première. Le tournage avait presque 1 heure de retard. Je suis dans le bureau de production à refaire toutes les fiches avec Evelyne Thomas quand Dechavanne passe une tête et lui demande si elle n’a besoin de rien avant l’antenne. Elle, froide, métallique, lui, vibrionnant, speed. Moi je suis au milieu, ça dure un quart de seconde mais je me suis sens comme un no mans land entre deux tranchées de la Grande guerre. Si ça tire, la balle perdue, elle est pour moi.

Ce moment de solitude, le premier sera suivi de nombreux autres. Je revois :

-          Le producteur perdre son calme après avoir tenté une heure d’expliquer à une chroniqueuse  la différence entre une valeur moyenne et une valeur médiane.

-          Le producteur, le monteur et moi s’arracher les cheveux à 3h du matin pour couper la phrase « Ben dans les restaurants chinois, ils cuisinent les chiens c’est prouvé »  - lâchée  par une comédienne à képi, star de la chaîne – tout en gardant la séquence.

-          Les après-midis de répét’ entre la crainte des incursions du big boss qui viendrait pour tout bousculer, éructant à raison « arrêter de dire que c’est tel ou tel truc est cher », et les colères rares mais homériques d’un présentateur sans prompteur mais pas sans caractère.

-          Le regard perdu de Miss France devant mon autorisation de diffusion au maquillage.

Après la frénésie du tournage en direct ou pas, le couperet des audiences avec des discussions à n’en plus finir. Si la ménagère n’est pas au rendez-vous, c’est qu’on n’a pas été assez « concernant ». « La voiture non ce n’est pas concernant », « les français adorent qu’on leur parle maison, c’est bien la maison c’est concernant ». « Le business des livres ? Ouais chais pas si les livres c’est très concernant ». CONCERNANT ça  été le mot de ma saison a « Combien ça coute ». A TF1 (Pour les autres je ne sais pas), il faut être concernant, rassembleur, fédérateur.

A cette époque, j’aurais rêvé de bosser sur une émission d’actu, de news. En lisant le livre d’Ollivier Pourriol je me rends compte que finalement c’est pareil partout. Après un an à voir le regard de mes interlocuteurs  s’allumer quand je disais « je bosse chez Coyote, Dechavanne », je me suis faîte lourder comme une merde « y a rien de personnel, changement d’équipe ». Le ton est ferme. La menace en embuscade. Je suis virée par le N°2 de la boite avec l’accent corse. Quand il me parle, j’ai l’impression d’entendre I Muvrini. Le même qui m’avait promu en CDI en novembre me vire en juin me précisant si je refuse « Tu sais des fautes on peut en trouver ». Je signe mon protocole de rupture de contrat sans broncher même si je le sais, je me fais avoir dans les grandes largeurs  mais en télé, on n’insulte pas l’avenir, jamais, la roue tourne. Les courants contraires ramènent parfois sur le lieu du drame des humiliés devenus des héros.
Ce que je retiens de cette année chez un animateur-producteur ? Qu’il faut avoir le  cuir tanné pour bosser dans une taule qui vit au rythme des humeurs d’un mec, génial au demeurant. Que le mec en question est sur-choyé, résultat, personne lui dit que sa braguette est ouverte. Qu’on vit dans la nostalgie de son émission – phare qui déchirait les audiences. Pour oublier qu’ils n’auraient jamais arrêter, ils te rabattent les oreilles de ce temps béni où les mecs payaient pour bosser sur l’émission et « dormaient » en salle de montage pour que les sujets soient prêts.

 

En refermant « On / Off » d’Ollivier Pourriol, j’ai eu le même sentiment qu’en sortant d’un entretien avec une animatrice de M6. soulagée. En 25 minutes, elle ne m’a pas jeté un regard, me posant que des questions auxquelles je ne pouvais répondre que « non ». Ce qui me mettait dans une folle confiance pour la suite. elle cherchait une coordinatrice pour son émission hebdo. Je n'ai pas été prise. Trois ans plus tard, je bossais sur un pilote avec elle. Grande gueule, elle emportait tous les suffrages alternant papouilles à certains et vannes blessantes à d'autres. « Elle est tellement sympa…. » entendais-je à longueur de journée. « ah bon, ai-je répondu un jour. Tu trouves sympa une meuf qui rentre dans le bureau en disant salut les connasses ! ». Ce à quoi on m’a rétorqué, « Tu comprends rien, c’est pour rire ».

 

2 commentaires:

  1. Des noms !!!!
    La télé est faite par des névrosés....
    Tu as dû morfler. Avoir des gamins ça relativise tout le reste il paraît.

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  2. j'en donne des noms. pour la dernière, c'est pas dure à trouver franchement

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