« Un rabbin
et son fils ont été attaqués à l'arme blanche, dans le 9e
arrondissement de Paris, alors qu'ils se rendaient à la synagogue de la rue
Saulnier ». Je lis l’information. Je la relis. Je me dis que tout ça est inquiétant.
Je suis contente d’apprendre que le pronostic vital des deux victimes n’est pas
engagé. Et ensuite, une question se pose. Futile, anecdotique : qui est ce
rabbin ? Quelle est sa communauté ? Où officie-t-il ? Je passe
quelques coups de téléphone et là, toujours la même réponse de la part de mes
interlocuteurs journalistes ou responsables communautaires : « la victime portait une barbe mais pas
sûr qu’elle soit rabbin ».
Autant le dire
tout de suite, je ne sais pas si l’homme agressé alors qu’il était avec son
fils est rabbin. Il est d’ailleurs possible qu’il le soit. Ce qui me chiffone
c’est que dès qu’un juif porte une barbe, pour les non-juifs en règle générale
et les journalistes en particulier il s’agit d’un rabbin. C’est simple juif Barbu
= rabbin. C’est automatique, presque rassurant. Un raccourci qui agace plus qu’il
n’amuse.
Quand je suis
arrivée à Paris X – Nanterre, la première semaine un type de mon TD m’a demandé
- puisque j’étais juive - si mon père portait une barbe et un chapeau
« comme dans rabbi Jacob » une précision que j’ai trouvée, vous
l’imaginez bien, hyper utile. J’ai répondu polie par la négative lui épargnant
les détails comme « Si mon père était rabbin, je ne porterais pas des pantalons
et des débardeurs ». Nous sommes en 1994, l’antisémitisme en France
appartient à l’histoire pas à l’actualité. Sa question est naïve. Elle illustre
une cruelle inculture mais je n’y vois aucune arrière-pensée.
Sept ans plus
tard, les choses ont changé. La deuxième Intifada, les actes antisémites en
France sont passés par là. Je partage
mes journées entre le CFPJ et Radio Shalom où je présente les infos à 18H. Chaque
soir, ou presque, une nouvelle agression
antisémite. Dans la rédaction où nous ne sommes que quatre, je suis la dernière
arrivée. Chaque incident, c’est pour moi. J’appelle les victimes « Allez
racontez-moi ce qui s’est passé ? », « Avez-vous
porté plainte ? ». Un petit coup de fil aux responsables
communautaires qui « tirent la sonnette d’alarme », au maire de la
ville où a eu lieu l’agression pour « rassurer les administrés ». On
monte le tout. Voilà mon quasi-quotidien pendant des mois. Un soir, je reçois
un fax de l’Agence Juive (Organisme chargé notamment d’aider les juifs de
France qui le souhaitent à s’installer en Israël, faire leur alyah) m’informant
du départ le lendemain d’un avion avec des futurs immigrants français. A
l’aéroport de Tel-Aviv-Ben Gourion, ils seront accueillis en personne par Ariel
Sharon, Premier ministre israélien de l’époque.
Je réussis à
vendre le papier au Parisien. Une pleine page. Je suis aux anges. Le lendemain,
je me pointe à Roissy, j’interroge les futurs immigrants, je gratte mon carnet
frénétiquement en pensant aux quelques heures qui me restent pour rédiger mes 4
feuillets. C’est la première fois que je vais signer un aussi long papier dans
un quotidien. Le photographe du Parisien me rejoint sur le tarmac, il est
jeune, il a l’air sympa. On papote, il doit faire une photo d’une famille sur
le départ, je lui en présente une, puis deux, trois. Encore une autre, je le
vois hésiter. Bref il n’est pas super emballé. Quand je lui demande ce qui ne
va pas, il me dit « Je voudrais
quelqu’un de plus … un mec barbu t’as pas ? ». J’ai beau lui expliquer
qu’on peut être juif sans porter de barbe, il insiste. Je regarde toute la file
à l’embarquement. Sur une trentaine de familles, il n’y a que deux familles qui
portent tous les signes extérieurs d’une pratique juive orthodoxe, jupes
longues et perruques pour les femmes et barbes pour les hommes.
J’ai beaucoup
bataillé avec lui pour qu’il prenne
finalement en photo une des familles que je lui indiquais, représentative des
nouveaux immigrants qui prenaient l’avion
ce jour-là.
L’équation « juif barbu = rabbin » a,
malheureusement, de belles années devant elle. Un jour que je l’interviewais, Haïm
Nissembaum, porte-parole du Beth Loubavitch en France et rabbin
me confiait qu’il était souvent sollicité par les journalistes télés. Bien que
ne représentant qu’une tendance minoritaire du judaïsme français, son physique
de rabbin, sous-entendu sa longue barbe poivre et sel, collant parfaitement avec
l’image que la société française se fait d’un rabbin faisait de lui une sorte
de « rabbin de service ».
Je n’ai
jamais revu le mec de la fac qui me demandait si mon père ressemblait à Rabbi
Jacob. Je l’ai cherché sur Facebook. J’ai trouvé sa fiche. Sur sa photo de
profil, il porte une barbe de bucheron façon hipster.
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