23 avril, 2013

Juif barbu = rabbin ?


 

« Un rabbin et son fils ont été attaqués à l'arme blanche, dans le 9e arrondissement de Paris, alors qu'ils se rendaient à la synagogue de la rue Saulnier ». Je lis l’information. Je la relis. Je me dis que tout ça est inquiétant. Je suis contente d’apprendre que le pronostic vital des deux victimes n’est pas engagé. Et ensuite, une question se pose. Futile, anecdotique : qui est ce rabbin ? Quelle est sa communauté ? Où officie-t-il ? Je passe quelques coups de téléphone et là, toujours la même réponse de la part de mes interlocuteurs journalistes ou responsables communautaires : « la victime portait une barbe mais pas sûr qu’elle soit rabbin ».

Autant le dire tout de suite, je ne sais pas si l’homme agressé alors qu’il était avec son fils est rabbin. Il est d’ailleurs possible qu’il le soit. Ce qui me chiffone c’est que dès qu’un juif porte une barbe, pour les non-juifs en règle générale et les journalistes en particulier il s’agit d’un rabbin. C’est simple juif Barbu = rabbin. C’est automatique, presque rassurant. Un raccourci qui agace plus qu’il n’amuse.

Quand je suis arrivée à Paris X – Nanterre, la première semaine un type de mon TD m’a demandé - puisque j’étais juive - si mon père portait une barbe et un chapeau « comme dans rabbi Jacob » une précision que j’ai trouvée, vous l’imaginez bien, hyper utile. J’ai répondu polie par la négative lui épargnant les détails comme « Si mon père était rabbin, je ne porterais pas des pantalons et des débardeurs ». Nous sommes en 1994, l’antisémitisme en France appartient à l’histoire pas à l’actualité. Sa question est naïve. Elle illustre une cruelle inculture mais je n’y vois aucune arrière-pensée.

Sept ans plus tard, les choses ont changé. La deuxième Intifada, les actes antisémites en France  sont passés par là. Je partage mes journées entre le CFPJ et Radio Shalom où je présente les infos à 18H. Chaque soir, ou presque,  une nouvelle agression antisémite. Dans la rédaction où nous ne sommes que quatre, je suis la dernière arrivée. Chaque incident, c’est pour moi. J’appelle les victimes « Allez racontez-moi ce qui s’est passé ? », « Avez-vous porté plainte ? ». Un petit coup de fil aux responsables communautaires qui « tirent la sonnette d’alarme », au maire de la ville où a eu lieu l’agression pour « rassurer les administrés ». On monte le tout. Voilà mon quasi-quotidien pendant des mois. Un soir, je reçois un fax de l’Agence Juive (Organisme chargé notamment d’aider les juifs de France qui le souhaitent à s’installer en Israël, faire leur alyah) m’informant du départ le lendemain d’un avion avec des futurs immigrants français. A l’aéroport de Tel-Aviv-Ben Gourion, ils seront accueillis en personne par Ariel Sharon, Premier ministre israélien de l’époque.

Je réussis à vendre le papier au Parisien. Une pleine page. Je suis aux anges. Le lendemain, je me pointe à Roissy, j’interroge les futurs immigrants, je gratte mon carnet frénétiquement en pensant aux quelques heures qui me restent pour rédiger mes 4 feuillets. C’est la première fois que je vais signer un aussi long papier dans un quotidien. Le photographe du Parisien me rejoint sur le tarmac, il est jeune, il a l’air sympa. On papote, il doit faire une photo d’une famille sur le départ, je lui en présente une, puis deux, trois. Encore une autre, je le vois hésiter. Bref il n’est pas super emballé. Quand je lui demande ce qui ne va pas, il me dit « Je voudrais quelqu’un de plus … un mec barbu t’as pas ? ». J’ai beau lui expliquer qu’on peut être juif sans porter de barbe, il insiste. Je regarde toute la file à l’embarquement. Sur une trentaine de familles, il n’y a que deux familles qui portent tous les signes extérieurs d’une pratique juive orthodoxe, jupes longues et perruques pour les femmes et barbes pour les hommes. 

J’ai beaucoup bataillé avec lui  pour qu’il prenne finalement en photo une des familles que je lui indiquais, représentative des nouveaux immigrants qui prenaient l’avion  ce jour-là.

L’équation « juif barbu = rabbin » a, malheureusement, de belles années devant elle. Un jour que je l’interviewais, Haïm Nissembaum, porte-parole du Beth Loubavitch en France et rabbin me confiait qu’il était souvent sollicité par les journalistes télés. Bien que ne représentant qu’une tendance minoritaire du judaïsme français, son physique de rabbin, sous-entendu sa longue barbe poivre et sel, collant parfaitement avec l’image que la société française se fait d’un rabbin faisait de lui une sorte de « rabbin de service ».
 
 

Je n’ai jamais revu le mec de la fac qui me demandait si mon père ressemblait à Rabbi Jacob. Je l’ai cherché sur Facebook. J’ai trouvé sa fiche. Sur sa photo de profil, il porte une barbe de bucheron façon hipster.

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